Mwami Kalasa Mukanda-Bantu
Mukanda-Bantu peut être traduit comme suit, « celui qui marche sur ses ennemis »
Le Mwami Mwenda Kalasa Mukanda-Bantu (années de règne : 1891-1910) était le fils de Msiri Roi des Bayeke et de la Mugoli (reine) Mukunto qui était originaire de la Rhodésie/Luapula. Le Mwami Mukanda Bantu, de son nom de naissance Kalasa, avait aussi un frère dénommé Muya-Usonsa. Kalasa naquit au milieu des années 1800, aux alentours de 1851, avant que Msiri ne devienne Mwami au Katanga. Kalasa se donna le nom de Mukanda-Bantu lors de son intronisation le 21 décembre 1891. L’histoire du Mwami Kalasa Mukanda Bantu est inextricablement liée à la tragédie du Munema et des temps difficiles qui s’ensuivirent.
Voici quelques extraits du livre intitulé, « les Bayeke du Garanganze, écrit par le Mwanangwa Célestin Nsamba Malezi, qui décrivent les événements tragiques qui précédèrent et émaillèrent la vie et le règne de Mukanda Bantu.
L’après M’siri
Le jour où M’siri fut tué, les soldats de l’expédition Stairs commirent des exactions, dont les ordres émanaient directement de leurs chefs que l’on disait « chrétiens et civilisés ». Nous rappelons que Bodson, un capitaine membre de l’expédition, venait à peine de tuer M’siri à Munema, avant d’être lui-même tué par Masuka (fils de M’siri). Les soldats de Stairs avaient décapité la tête de M’siri et l’avaient mise sur une palissade au vu de toute la population. C’est sur cette toile de fond que se dessinèrent les événements tumultueux qui précédèrent l’avènement du futur roi des Bayeke.
Apres la mort de M’siri, les hommes de Stairs pillèrent les entrepôts et les résidences de Nkuru, Kaleba et Munema, épargnant ceux de Kimpata qui restèrent intacts. Stairs démantela même les enceintes de Nkuru pour construire son fort. Il voulait faire disparaitre tout ce qui rappelait le règne de M’siri.
Qui ne pourra jamais décrire l’indignation, puis la peur des braves gens de Bunkeya, ce soir-là ! Un épais silence de mauvais augure s’abattit sur le village : chacun se terrait chez soi. Aucun enfant ne jouait. Seuls les chiens hurlaient à la mort. Les gens étaient dans la désolation la plus profonde : leur « Seba » (père, protecteur) tant aimé n’était plus ! Certains, les plus ébranlés, quittèrent même la capitale pour rentrer dans leurs régions d’origine.
Ainsi se déroula inéluctablement cette journée du 20 décembre 1891, journée qui vit notre Mwami M’siri être abattu traitreusement et rendre l’âme.
Le 21 décembre
Malgré sa victoire apparente, le capitaine Stairs n’était pas tranquille car non seulement il avait perdu son adjoint le plus expérimenté (Bodson), mais de plus, il ne savait quel avenir lui réservaient les Bayeke. Il n’avait pas encore entamé le moindre pourparler sur l’après règne avec aucun des proches collaborateurs de M’siri. En effet, on lui avait rapporté une rumeur selon laquelle Mukanda Bantu et son oncle Ntalasha étaient en train de mobiliser leurs guerriers pour « venir tuer les blancs ».
Par contre, dans Bunkeya, les gens chuchotaient que le capitaine Stairs) recherchait tous les grands notables de M’siri pour les mettre à mort.
Sur ces entrefaites, Kyamunda se rendit à Kankofu en compagnie de Magabwa, pour rencontrer Ntalasha Ilezya Milimo, qui à cet instant-là, en tant que descendant du grand-père de M’siri, était le plus haut personnage présent dans les environs immédiats.
L’enterrement de M’siri
Ntalasha se présenta devant Stairs qui lui serra la main et le pria de s’asseoir sur un siège de fortune, fabriqué par ses gens. Le symbolisme était de rigueur, car les deux hommes se jaugeaient du regard. La balance du pouvoir n’était pas dans la faveur des Bayeke. Peu de temps après, Ntalasha fut rejoint par Kalasa Mukanda Bantu et quelques Batoni (les attachés du Mwami). A cet instant, la plus grande priorité des Bayeke était de recouvrer le corps de M’siri.
Stairs dit : « vous avez bien fait de venir. Moi, je m’inquiétais beaucoup à votre sujet, car j’ai reçu un rapport selon lequel vous voudriez me tuer avec tous mes adjoints. Mais comme vous êtes là nous allons pouvoir nous entendre. Ce qui est arrivé est arrivé, mais c’était la faute du jeune homme (parlant de Bodson qui avait tué M’siri). Pourtant, je l’avais prévenu avant son départ (Bodson s’était rendu à Munema pour confronter M’siri et l’avait tué). C’est triste ce qu’il a fait, cependant ne vous en faites pas trop, car après tout, il est mort également ! ». En disant cela, il mentait.
Pour conclure, il autorisa Mukanda Bantu à aller inhumer le corps de son défunt père.
Le prince partit accompagné de Kyamunda et de Kipimpwe, son fidèle serviteur. Ce dernier, et quelques serviteurs Yeke, enveloppèrent les restes dans un tissu puis acheminèrent le défunt Mwami vers Munema où se déroulèrent toutes les cérémonies funèbres des Bayeke, avant de le mettre en terre, dans l’enceinte même de la résidence de Nihozyo qu’il avait quitté la veille. M’siri fut inhumé aux côtés de son cousin Kabobo et Magande Mulozi, dit Kusongololwa, fils de son oncle paternel Magande.
Une fois cette noble tâche accomplie, les Grands du Royaume se rendirent à Kankofu chez le Mwanangwa Ntalasha. La palabre pour la succession pouvait maintenant commencer. Cela ne dura pas longtemps et le consensus désigna Kalasa Mukanda Bantu.
Lorsque le cortège quitta Kankofu pour aller présenter le Mwami désigné au capitaine Stairs, ceux qui n’avaient pas eu la permission d’assister aux assises crurent qu’il s’agissait de Ntalasha puisqu’il était transporté en tipoi (fauteuil réservé aux dignitaires et au roi). Même chez Stairs, il y eut confusion, celui-ci pensant que c’était ce ‘vieux’ notable qui était le candidat désigné. D’ailleurs, aussitôt que Ntalasha descendit de son tipoi, on lui présenta un endroit pour s’asseoir. Sa suite l’entourait pour écouter et voir le déroulement de la présentation.
Alors Stairs demanda à Ntalasha si c’était lui qui devait succéder à son frère. Mais lui, sans hésiter présenta son fils Kalasa en proclamant : « voici notre fils Mukanda Bantu. C’est lui qui régnera sur nous tous et c’est avec lui que vous devrez traiter ! ».
Voila donc comment et dans quelles circonstances malheureuses, Kalasa Mukanda Bantu fut choisi afin de succéder à son père. Mais cent fois hélas, l’empire de M’siri allait maintenant connaitre des jours bien sombres !
Les Basanga et un grand nombre d’autres tribus autochtones s’étaient révoltés contre M’siri. Ils voulaient libérer leurs divers pays de sa domination. Mais grâce aux victoires remportées par ses Bayeke aidés principalement des fidèles Baluba et Baushi, l’ordre commençait à se rétablir peu à peu dans l’empire, au moment de l’arrivée de l’expédition Stairs à Bunkeya.
Le refus de M’siri d’accepter le drapeau de l’Etat Indépendant du Congo lui ayant couté la vie, des maux qu’il serait trop long d’énumérer ici, s’abattirent avec un nombre accru sur notre pays vaincu.
De plus, quelque temps après la mort de M’siri, le Mwami Mukanda-Bantu, fils et successeur, reçut du vainqueur européen, installé alors à Lukafu, l’ordre de transférer notre capitale à Litupisha à quelques kilomètres de ce poste. Ceci étant pour se prêter une aide mutuelle dans les guerres sans nombre qui faisaient rage.
En présence de tous ces malheurs, Mukanda-bantu organisa des prières publiques aux mânes de nos ancêtres entre autres ceux de Muhemwa, grand-père de M’siri. Dans son livre des chants Yeke, le Mwami Antoine Munongo Luhinda Shalo relate que le Mwami Mukanda Bantu dit aux sages ce qui suit : « Puisque des maux sans nombre m’assaillent de toutes parts, j’irai en amont chez Mumba pour consulter des devins ; de votre côté, vous les Princes, essayez de vénérer les mânes de Muhemwa, afin qu’ils nous donnent la paix ».
« Mutemi Kusaya, Mayo, myongo ziangalamira mu nundu mwa Mumba. Nimwe Banangwa mulagame kwisenga misambwa ya Muhemwa »
Epilogue
En tant que Mwami, Mukanda-bantu eut un règne difficile. Les forces coloniales venaient à peine de tuer son père, avec le but de subjuguer les Bayeke et de s’arroger du territoire Katangais. Progressivement, ils prirent les mesures nécessaires pour atteindre leurs objectifs. Le premier de ceux-ci fut de déplacer la capitale des Bayeke de Bunkeya à Litupisha, près des chutes de la Lofoi. Cette déportation forcée réduisit grandement la marge de manœuvre du Mwami, le forçant ainsi d’être absent de Bunkeya, la capitale et lieu symbolique des Bayeke. Par milliers, certains suivirent le Mwami, alors que d’autres devinrent désenchantés et retournèrent dans leurs lieux d’origine.
Cependant, la guerre continua sans répit. Mukanda-Bantu dut mener plusieurs batailles pour le maintien de l’intégrité du royaume et mettre fin à des révoltes intestines. Le Mwami Mukanda Bantu dut vite se rendre compte des nouveaux rapports de force. Il subit des humiliations sans précédent, mais réussit à maintenir la culture, la société, et le royaume des Bayeke.
La diplomatie avec les belges était son seul espoir pour la survie des Bayeke. Les guerres étaient ingagnables, dû à la conjoncture militaire et les pertes insupportables de vies humaines. La suprématie des Bayeke était fortement réduite, ainsi que l’influence de Mukanda Bantu. Du jour au lendemain, le style de gouvernance à l’occidental remplaçait l’ascendance du Mwami, qui jusque là était le Lumarizya (celui qui décide tout).
Malgré ces adversités susmentionnées, le Mwami Mukanda Bantu ne perdit guère sa dignité et son honneur. Lorsque sa santé commença à faillir, les forces coloniales lui laissèrent champ libre de retourner à Bunkeya, où il mourut peu de temps après le 17 juillet 1910.