samedi, avril 27, 2024

Sur les traces de Charles Swan: Une Amitié inattendue

L’histoire de Charles Swan commence en Grande-Bretagne, dans la ville de Sunderland et culmine en Afrique, où Swan passera plusieurs années. Charles Swan devint un missionnaire dévoué et membre de l’Eglise des Frères de Plymouth (Plymouth Brethren), une congrégation opposée à toute forme de hiérarchie dans le clergé, et ayant comme mission l’évangélisation. Pendant qu’il était encore en Europe, l’attention de Charles Swan était portée sur le travail qu’un missionnaire et coreligionnaire nommé Frederick Stanley Arnot faisait en Afrique centrale, dans une région connue sous le nom Katanga. Arnot était allé au Katanga pour évangéliser. Il avait entendu parler de Bunkeya, la capitale de Garanganze royaume de M’siri, qui d’après ses écrits était le Londres de l’Afrique, et il voulait y baser une station. Au contraire des explorateurs, Arnot n’avait rien de comparable avec ces européens dont le but principal était de gagner la capitulation de M’siri et de lui arracher ses terres riches en minéraux.

 

Arnot, lui, était différent et M’siri lui faisait confiance, tant et si bien qu’en 1886, il lui autorisa de construire une église qu’Arnot appellera Garenganze, nommée après l’empire de M’siri. Dans son livre intitulé «Garenganze ou sept ans de travail pionnier de Mission en Afrique centrale», Arnot écrivit que M’siri avait préalablement consulté ses devins avant sa première rencontre avec lui, et le présage ceux-ci lui firent confirma la fiabilité d’Arnot. Plus tard, M’siri étendra cette confiance à Charles-Albert Swan qui arriva en décembre pour relever un Arnot épuisé.

 

La mission de Charles Swan était principalement de reprendre le travail ardu que FS Arnot avait commencé à Bunkeya. Par un étrange retournement, le monarque avait besoin d’eux pour leur connaissance du monde extérieur et leur familiarisation au  modus operandi européen, surtout suite à l’afflux du nombre d’expéditions européennes qui venaient à sa capital. En revanche, Arnot et Swan, étaient épris de l’inspiration divine d’évangéliser un peuple africain.

 

Très vite, M’siri et Charles Swan se lièrent d’une amitié qui dura des années. D’autres ont rapporté que Charles Swan avait été retenu contre son gré dans Bunkeya. Cependant, de telles spéculations ne peuvent être confirmées. Ce que nous savons, c’est que Charles Swan fut consulté par M’siri à de nombreuses reprises. Possédant ni aspirations politiques ou colonialistes et contre toutes formes d’exploitation par M’siri ou les Européens, les missionnaires du Plymouth Brethren avaient déjoué plusieurs tentatives par les européens d’exploiter M’siri. Dans un cas précis, les émissaires de Cecil Rhodes – le célèbre explorateur britannique qui jura de dominer l’ensemble de l’Afrique pour le compte de l’empire britannique – étaient abasourdis de découvrir que Charles Swan avait traduit un accord inique qu’ils avaient rédigé unilatéralement. Avec l’aide de son ami «Swana», M’siri avait été prévenu de l’initiative européenne, si bien qu’il refusa de signer le fameux document. Le sentiment de confiance que cela créa entre les deux hommes était l’une des raisons pour lesquelles M’siri ne pouvait se passer de la présence de Charles Swan.

 

Lorsqu’il était à Bunkeya, Charles Swan fut témoin de plusieurs actes de générosité et de magnanimité de M’siri. Il observa également de première main des méthodes de  punitions dures que M’siri faisait dispenser sur ses sujets. Ceux-ci comprenaient des fois la peine capitale ou des châtiments corporels. Ces méthodes pouvant être étranges et effrayantes aux yeux d’un missionnaire, ne l’étaient certainement pas pour les explorateurs européens qui infligeaient le même genre de punitions sur des Africains innocents.

 

La confiance qu’avait M’siri envers Charles Swan grandit au point qu’il lui fit confiance avec sa vie. De temps en temps, il demandait à «Swana» son ami de lui couper les cheveux avec des ciseaux. Etant monarque dont la terre était l’envie de beaucoup d’Européens et d’Africains, je suis sûr que la pensée que Swana pourrait utiliser les mêmes ciseaux pour mettre fin à sa vie souvent lui traversa l’esprit. Mais la grande confiance qu’il avait pour Charles Swan lui permit de surmonter sa peur.

 

Comme nombre de Yeke, je connaissais vaguement l’histoire de Charles Swan et de son amitié avec M’siri. Les vieux chants mentionnent «Swana» et les gens avaient une affinité considérable pour ce missionnaire qui se lia d’amitié avec leur ancêtre. A ma surprise, le 3 septembre 2011, je reçus un courriel dont l’expéditeur se nommait Graeme Swan. Le nom Swan captiva mon attention. J’ouvris le courriel qui mit fin à ma vague et lointaine connaissance de Charles Swan. Dans sa recherche sur Internet, Graeme Swan, petit-fils de Charles Swan, avait trouvé mes coordonnées, moi, arrière-petit-fils de M’siri. Il s’agissait d’un courriel des plus improbables. Graeme écrit: «Je suis le petit-fils du défunt (missionnaire) Charles Albert Swan. Charles avait (je crois) de très bons rapports avec le chef Msidi et notre famille possède encore les ciseaux qui avaient été utilisés pour couper les cheveux du chef. Mon père me racontait que le chef ne permettait que Charles près de sa tête avec une lame, car il craignait que sa vie ne soit en danger.» Je sus alors qu’il ne s’agissait pas d’un canular.

 

Dans nos correspondances et conversations qui s’ensuivirent, Graeme partagea l’intérêt qu’il avait d’aller au Congo et de présenter au Royaume les ciseaux avec lesquels son grand-père avait coupé les cheveux de M’siri. Fidèle à sa parole, le 7 Juillet 2012, Graeme Swan arriva à Bunkeya, sur les traces de son grand-père. Prenant part à une cérémonie qui coïncidait avec le 14e anniversaire du règne du Mwami, Graeme fut présenté à la cour royale et les villageois. D’un geste simple, mais symboliquement important, et en mémoire de notre amitié indéfectible, Graeme présenta les ciseaux et adressa l’assemblée. La boucle était désormais fermée.

 

Dans son journal, Graeme Swan écrit: «Le Congo … J’ai hésité d’écrire à ce sujet, compte tenu de mon expérience; j’étais submergé par les émotions. Il me fallait d’abord digérer ce que j’ai vécu, mais d’autre part, il y a la tentation de donner trop de détails qui n’intéresseraient que quelques-uns. Rétrospective…j’avais décidé de visiter Bunkeya après de nombreuses années de poursuite de l’historique de mon grand-père Charles Albert Swan. A l’origine, il y a plusieurs années, j’avais considéré la possibilité de marcher de Benguella en Angola à l’intérieur de la RDC, suivant les traces de Charles, mais considérant l’idée chimérique en raison de mon inexpérience, les échauffourées diverses, et l’absence d’une cartographie claire, j’abandonnai le projet. Suite à des recherches plus approfondies que je fis cette année, j’ai découvert un des princes du Katanga (province où se trouve Bunkeya la capitale du royaume de M’siri) vivant en Californie (oui vraiment!) Je lui racontai que ma famille (ma soeur Beverly) possédait encore les ciseaux de 1890 que Charles utilisait pour couper les cheveux de Msidi. Msidi était un célèbre chef qui a régné sur une grande partie de l’Est du Congo après avoir quitté la Tanzanie. Charles était le seul autorisé près de sa gorge ou de sa tête, comme il était à juste titre préoccupé par ses nombreux seigneurs de guerre qui souhaitaient d’hériter du royaume. Charles était l’un des 3 premiers missionnaires à travailler dans cette région d’Afrique. Prince Patrick me confia qu’à Bunkeya les anciens ont des chants qui relatent de l’amitié qui existait entre Charles et Msidi. J’ai décidé à ce moment-là, que je devais aller livrer les ciseaux à un peuple qui portait mon grand-père en haute estime et pour qui les ciseaux étaient un symbole très important de confiance et de respect. Je ne savais pas à quoi m’attendre, mais je me décidai d’y aller malgré tout. J’ai aussi décidé que je n’allais pas amener ma famille dans ce rêve personnel, qui à certains égards, pouvait être périlleux. Mais mon désir de découvrir ce lieu était plus grand que tout risque que je pouvais encourir.    

 

J’arrivai à l’aéroport de Lubumbashi dans ce qui pourrait être décrit comme une certaine forme (indéterminable) de chaos organisé. Chaque sac était déchargé à travers une petite trappe et à tour de rôle, le nom de chaque passager était appelé et après confirmation d’identité, un porteur vous rendait vos bagages. Je fus accueilli, comme promis, par un représentant du roi (Mwami) des Bayeke. Après un trajet d’a peu près 200 km à travers un des paysages les plus démunis que j’aie jamais vu. Les gens vivaient dans des conditions de paupérisation, avec comme principale source de revenu la vente du charbon. Sur le chemin de Bunkeya (un grand village d’environ 25.000 habitants) Je n’ai pas vu une seule vache ou plus d’une chèvre ou brebis. Le Kenya semblait un paradis agricole en comparaison.

 

Tout au long de mon court séjour à Bunkeya, j’ai été très bien reçu. Et je me suis vite rendu compte de l’honneur que me faisait le Mwami, car tous ceux qui lui parlaient s’approchaient et s’agenouillaient à ses côtés. Cela n’a pas été exigé de moi et je fus même convié à m’asseoir à ses côtés pour un repas cérémonial commémorant son investiture en tant que roi. J’ai été annoncé à la cour comme invité de marque, et devant des milliers de personnes, je remis les ciseaux au Mwami. Brièvement, je parlai de la confiance et du respect qui doivent caractériser les relations entre tous les peuples de diverses cultures.

 

Ce n’était toutefois pas le point culminant. Le moment le plus merveilleux eut lieu dans le calme absolu, lorsque j’étais assis sur les marches de la maison en ruine de mon grand-père. Eunice Rhoades, une missionnaire qui a vécu 40 ans dans Bunkeya, me conduit vers le site situé sur une petite colline à environ 6 km du village. Les trois petites pièces encore visibles dans la fondation ne représentaient pas grand chose, hormis pour quelques villageois chrétiens qui y voyaient une teneur symbolique, spirituelle, émotionnelle et historique. Maintenant, je sais…J’ai vu le chemin bordé d’aloès et les vestiges des jardins botaniques qui avaient été plantés par Charles et les autres missionnaires qui ont partagé cette simple bicoque avec lui. Je pouvais sentir le poids et la responsabilité qui lui incombait de conjuguer avec un chef impitoyable qui l’appelait à un coup de tête avec son tambour parlant à l’autre bout de la vallée. Je sentis la difficulté d’avoir à marcher 7 km vers la rivière et transporter l’eau dans des sceaux en bois. Je pouvais sentir l’angoisse d’être séparé de ses amis et de sa famille. Maintenant, je sais.»

 

L’histoire de l’amitié entre Charles Swan et M’siri est des plus inattendues. Bien qu’ancienne, elle perdure, maintenue par les anciens à Bunkeya et désormais, même les jeunes. Ils se souviennent de ce missionnaire européen, dont le seul but était d’évangéliser et non d’exploiter ou de spolier.

 

Pour les Bayeke, les valeurs telles que l’honneur, la confiance, le respect, la loyauté et l’amitié sont au cœur de nos croyances culturelles. En tant que peuple, nous continuerons d’honorer la mémoire de Charles Swan et l’amitié qui existait entre lui et notre ancêtre bien-aimé M’siri.

 

Faisant écho à notre Mwami Wihala Mwenda Bantu Kaneranera, nous tenons à remercier Graeme Swan pour sa visite à Bunkeya et pour nous avoir apporté un morceau de l’histoire qui serait tombé dans les oubliettes n’eût été pour sa volonté de revenir sur les traces de son grand-père, Charles Albert Swan.

 

En témoignage de l’Honneur, la confiance, le respect, la loyauté et l’amitié.

 

Écrit par Graeme Swan et Patrick Munongo